ENTRETIEN AVEC VALERIO MONTEVENTI

 

(septembre 2005)

 

 

 

Valerio Monteventi est né à Bologne en novembre 1954. D’abord inscrit aux Jeunesses Communistes, il milite à Potere Operaio de 1969 à 1976. Valerio Monteventi commence à travailler en 1974 à l’usine Ducati (fabrique de motos) de Bologne. En 1975, il adhère à la FLM, la Fédération des Travailleurs de la Métallurgie, qui regroupe alors les syndicats de la métallurgie de la CGIL, de la CISL, et de l’UIL. A partir de 1976, il milite au sein du Comité Ouvrier autonome de Ducati tout en restant membre de la FLM. Arrêté en octobre 1980, il est accusé d’appartenance à Prima Linea et incarcéré jusqu’en juin 1981. Depuis 1993, Valerio Monteventi est conseiller municipal de Bologne. Il est aujourd’hui affilié à Rifondazione.

 

Traduction : Franco Berardi (Bifo)

 

 

 

 

A quel âge as-tu commencé à faire de la politique ?

 

VALERIO MONTEVENTI : A 14 ans.

 

Est-ce que tu as adhéré à une organisation ?

 

VALERIO MONTEVENTI : Je suis rentré dans un collectif lycéen qui était très proche de Potere Operaio. Je faisais partie de Potere Operaio. A Bologne, Potere Operaio était surtout implanté dans les lycées.

 

Est-ce que Potere Operaio était implanté à l’université ?

 

BIFO : Pas tellement, plutôt dans les lycées. A Bologne, c’était surtout les lycées techniques, qui étaient un peu un lieu de contact entre situations ouvrières…

 

VALERIO MONTEVENTI : A l’époque, c’est surtout la formation de groupes lycéens qui intervenaient dans les usines : c’est la liaison entre mouvement étudiant et mouvement ouvrier.

 

Comment s’appelait le collectif lycéen auquel tu participais ?

 

VALERIO MONTEVENTI : « Coordination des Etudiants ».

 

Donc, c’est à partir de 1968…

 

BIFO : C’est plutôt à partir de 1969. 1968 c’est un phénomène surtout universitaire.

 

VALERIO MONTEVENTI : C’est à partir de 1969 qu’il y a un mouvement dans les lycées, qui est parallèle au mouvement dans les usines.

 

Donc, c’est à partir de 1969 que tu fais partie de la Coordination des Etudiants de Bologne…

 

VALERIO MONTEVENTI : Oui.

 

Jusqu’à quand ?

 

VALERIO MONTEVENTI : Jusqu’en 1974.

 

Que fais-tu à partir de 1974 ?

 

VALERIO MONTEVENTI : J’ai trouvé un travail dans une usine de Bologne, chez Ducati (le fabricant de motos), et en même temps je me suis inscrit en droit à l’université. J’ai fait des études de droit du travail.

 

Jusqu’à quand es-tu resté à l’université ?

 

VALERIO MONTEVENTI : Je n’ai jamais terminé mes études ! Je n’ai validé que 23 cours sur 24 puis j’ai été arrêté et je suis resté en prison !

 

Quand as-tu été arrêté ?

 

VALERIO MONTEVENTI : Le 30 octobre 1979

 

BIFO : Mais non, c’était pas en 1979, c’était en 1980 !

 

VALERIO MONTEVENTI : Ah oui, c’est exact : c’était le 30 octobre 1980.

 

BIFO : Oui, ça fait partie d’une autre vague…

 

Est-ce que tu as été membre d’une organisation politique ?

 

VALERIO MONTEVENTI : Oui, j’étais militant de Potere Operaio et je le suis resté après la scission de 1973.

 

Est-ce que tu as adhéré à une autre organisation politique après la dissolution de Potere Operaio ?

 

VALERIO MONTEVENTI : A Bologne, après la dissolution de Potere Operaio, il y a eu une expérience d’organisation autonome. Des groupes autonomes se sont formés. Ce n’était pas une adhésion à un groupe politique mais plutôt ce qu’on appelle l’autonomie. C’était pas l’Autonomie ouvrière organisée au sens de Negri, c’était plutôt la coordination des groupes ouvriers autonomes.

 

Est-ce que tu veux dire que c’était quelque chose d’assez informel ?

 

VALERIO MONTEVENTI : Oui, c’était une organisation locale dans les usines de Bologne, et en même temps il y avait une coordination avec d’autres groupes ouvriers… Entre 1974 et 1977, moi et mon groupe on a participé à des réunions de groupes ouvriers en dehors des organisations formelles.

 

Comment s’appelait ton groupe ?

 

VALERIO MONTEVENTI : Mon activité principale c’était à l’intérieur de l’usine avec le Comité Ouvrier Autonome. Mais à Bologne, avec d’autres copains qui n’étaient pas tous ouvriers, il y avait aussi une espèce de survie de la dénomination « Potere Operaio ».

 

Jusqu’à quand avez-vous continué à vous appeler « Potere Operaio » ?

 

VALERIO MONTEVENTI : Jusqu’en 1976. C’est une année importante parce que le mouvement de Bologne a commencé à surgir à cette époque. Les identités précédentes ont commencé à se dissoudre…

 

Est-ce que tu peux décrire la situation à Bologne à partir de 1976 ?

 

VALERIO MONTEVENTI : A Bologne il y a une dynamique un peu différente que dans les autres villes car les différentes identités organisationnelles commencent à être remises en question. Il y avait quatre composantes : Lotta Continua, l’Autonomie désirante, les autonomes qui ne faisaient pas référence à l’Autonomie organisée, et Rosso.

 

BIFO : Les trois composantes de l’Autonomie provenaient de Potere Operaio. Il y avait Rosso, une composante plus ouvriériste dont Valerio faisait partie, et une composante dont je faisais partie qui a abandonné l’identification organisationnelle.

 

Qu’est-ce que tu veux dire par « ceux qui ne faisaient pas référence à l’Autonomie organisée » ?

 

BIFO : On peut dire que c’était ceux qui étaient proches d’Oreste Scalzone, c’est plus simple !

 

VALERIO MONTEVENTI : Ce n’était pas si strict que ça ! Une partie étaient restés liés à la mouvance de Scalzone, mais dans mon groupe il y avait des ouvriers autonomes qui n’avaient aucun rapport avec Potere Operaio. Certains rejoignent les Comités Communistes Révolutionnaires (CCR). Moi je n’ai pas adhéré aux CCR car j’étais surtout engagé dans les usines.

 

Qu’est-ce que tu entends par « Autonomie organisée » ?

 

VALERIO MONTEVENTI : C’est une expression qui fait référence à Rosso (à Milan et en Vénétie) et aux Volsci de Rome. A Bologne, il y avait un groupe qui était lié à Rosso et qui était en contact avec Toni Negri.

 

BIFO : Oui, d’ailleurs moi j’ai participé à Rosso jusqu’en 1976.

 

On m’a parlé d’une « coordination nationale de l’Autonomie ouvrière organisée »…

 

BIFO : C’est difficile de dire ce qu’était la coordination, l’Autonomie organisée, les comités ouvriers… Il y avait une espèce de magma dans lequel tu pouvais participer à une réunion d’un groupe ouvrier autonome tout en croyant que c’était la réunion d’un groupe politique… Moi je suis pas capable de distinguer de façon claire où finissait l’organisation politique formelle, où commençait la réunion de gens non-organisés… C’était vraiment l’époque de la dissolution ! La dissolution c’est un processus. Donc on ne peut pas dire quand ça commence et quand ça se termine…

 

VALERIO MONTEVENTI : Par exemple moi j’étais copain avec les gens qui se référaient au groupe de Scalzone mais je travaillais comme ouvrier d’usine, donc c’est difficile de distinguer le niveau des organisations et le niveau autonome. J’ai participé à des réunions nationales avec Scalzone.

 

Comment signiez-vous vos tracts ? 

 

VALERIO MONTEVENTI : On signait avec la liste des quatre ou cinq comités autonomes de chaque usine, dont le Comité Autonome Ouvrier de Ducati. Il y a eu un journal qui s’appelait Il Corrispondente operaio qui n’était pas l’expression d’une organisation politique. Il y a eu aussi le journal des comités autonomes d’usine qui s’appelait Il Fondo del barile (Le Fond du tonneau).

 

BIFO : C’était l’expression utilisée par Alberto Minucci, un dirigeant du Parti Communiste qui avait accusé les ouvriers de la Fiat…

 

VALERIO MONTEVENTI : A l’époque des luttes ouvrières contre les licenciements à la Fiat, en 1979, Alberto Minucci avait dit « Ca c’est vraiment le fond du tonneau ». Le groupe de Bologne a repris cette expression méprisante…

 

Que voulait dire Alberto Minucci ?

 

BIFO : C’est une expression qu’il avait utilisé pour désigner les ouvriers de la Fiat, pour dire « les ouvriers de la Fiat c’est vraiment le fond du tonneau », « c’est des merdes », « c’est quelque chose qu’on peut pas boire », « c’est quelque chose qu’on peut pas utiliser »… L’expression a été reprise par les Comités Autonomes Ouvriers de Bologne pour le nom de leur journal.

 

C’est donc un journal qui date de 1979…

 

VALERIO MONTEVENTI : Le journal date de 1977 mais au début il s’appelait Il Corrispondente operaio. C’est devenu Il Fondo del barile en 1979.

 

Jusqu’à quand a duré Il Fondo del barile ?

 

VALERIO MONTEVENTI : Jusqu’à mon arrestation en octobre 1980. Ca n’a duré qu’un an : il n’y a eu que quelques numéros.

 

Combien de personnes regroupaient les Comités Autonomes Ouvriers de Bologne ?

 

VALERIO MONTEVENTI : Dans chaque usine il pouvait y avoir beaucoup d’ouvriers qui étaient liés au Comité Autonome. Le Comité Autonome Ouvrier de Ducati était composé d’une quarantaine de personnes. Mais seulement entre sept et dix personnes participaient aux réunions de la coordination des différents comités. Certains membres du Comité Autonome de Ducati étaient comme moi délégués syndicaux, même si les relations avec le syndicat étaient polémiques…

 

De quel syndicat étais-tu membre ?

 

VALERIO MONTEVENTI : J’étais délégué du personnel et non-syndiqué. Mais certains délégués du personnel étaient à la fois syndiqués et membres du Comité Autonome.

 

A quel syndicat adhéraient les membres du Comité Autonome Ouvrier de Ducati ?

 

VALERIO MONTEVENTI : Certains étaient membres de la FLM (Fédération des Travailleurs Métallurgistes). La FLM était une conséquence des luttes ouvrières. C’était un organisme unitaire qui fédérait les syndicats de métallurgistes de la CGIL, de la CISL, et de l’UIL. Certains ouvriers étaient aussi directement syndiqués à la FLM.

 

Est-ce que la majorité des militants du Comité Autonome Ouvrier de Ducati étaient membres de la FLM?

 

VALERIO MONTEVENTI : C’est difficile à dire… Certains ont quitté la FLM. Moi-même, j’y ai adhéré pendant une période.

 

BIFO : De toute façon, il y avait une relation entre la FLM et les comités autonomes. C’était une relation polémique, avec des moments d’alliance et des moments de conflit, mais il y avait une relation. La FLM a été l’expérience la plus avancée dans l’histoire syndicale italienne.

 

VALERIO MONTEVENTI : Probablement même dans l’histoire syndicale européenne…

 

A quelle époque as-tu été membre de la FLM ?

 

VALERIO MONTEVENTI : J’ai adhéré à la FLM en 1975. Après mon arrestation en 1980, la FLM a eu une attitude ambiguë : j’ai été suspendu mais en même temps la FLM a déclaré que les accusations portées contre moi n’étaient pas très sérieuses. Finalement, j’ai décidé de quitter la FLM.