ENTRETIEN AVEC YANN MOULIER-BOUTANG

(mai 2004) 

 

Yann Moulier est né en juin 1949 en région parisienne. Il est le fils du philosophe d’extrême-droite Pierre Boutang. Etudiant en hypokhâgne au lycée Louis le Grand, à Paris, Yann Moulier rejoint en mai 1968 le Mouvement du 22 mars puis l’année suivante le groupe « Informations et Correspondances Ouvrières » (ICO). En 1970, il entre à l’Ecole Normale Supérieure et commence à s’intéresser aux thèses opéraïstes en entamant la traduction d’Ouvriers et Capital de Mario Tronti. Deux ans plus tard, il publit la revue Matériaux pour l’intervention. En 1973, Yann Moulier se rallie aux thèses de Toni Negri puis crée Camarades en 1974. Yann Moulier poursuit ses études à l’université de Jussieu puis à Sciences-Po. Il publit en 1976 Les Autoréductions sous le pseudonyme de Yann Collonges. Leader intellectuel du mouvement autonome français, il prend ses distances avec la mouvance à partir de 1979 en s’investissant dans le CINEL (Centre d’Initiatives pour de Nouveaux Espaces de Liberté, créé par Félix Guattari). 

 

 

 

Comment a débuté votre parcours politique ?

 

YANN MOULIER : Un jour j’ai été contacté en 1970, au moment de la loi sur la mensualisation, par un militant qui s’appelait Giuseppe Bezza qui était un établi (mais pas du tout de type maoïste) qui était de Potere Operaio. C’est lui qui m’a contacté avec un texte qui était intéressant sur la mensualisation. A l’époque, en 1969-1970, je fréquentais beaucoup Henri Simon, Daniel Saint-Jeanne, et les gens d’ Informations et Correspondances Ouvrières (ICO). En mai 1968, j’ai été politisé brutalement avec tout le monde, fortement. C’est ce qui m’a amené en tête de la manifestation du 13 mai en train de porter des banderoles centrales. J’étais copain de gens qui étaient très liés au Mouvement du 22 mars (pour des raisons parfaitement aléatoires), à Noir et Rouge (avec Jean-Pierre Duteuil, Jean-Jacques Lebel), à ICO, et aux Cahiers de Mai. Mais pas du tout les maoïstes. Parce que dans les prépas, on avait le contact… A Louis-le-Grand, moi j’étais en plein : il y avait Jean Beuf qui est venu faire deux ou trois séances célèbres. Moi j’avais comme colégionnaire Alexandre Adler, à hypokhâgne. En 1967-1968, j’étais en hypokhâgne, avec Cherrère comme prof, à Louis-le-Grand. J’ai eu Clavel en 1967 au lycée Buffon. Les Cahiers de Mai m’intéressaient. Les maos m’intéressaient pas du tout, mais vraiment pas du tout, les marxistes-léninistes encore moins. En revanche dans Les Cahiers de Mai, j’ai eu une grande passion pour Les Cahiers de la Révolution, qui avaient été publiés par Louis Jannover. Je me suis beaucoup passionné pour le vrai courant conseilliste, c’est-à-dire la vrai ultra-gauche. Donc j’avais lu Makhno. J’avais lu un tas de choses qui étaient un peu bizzarres : Pannekoek, Gorter, toute cette frange-là, entre 1968 et 1969. En 1970, j’ai un peu changé de références. C’est-à-dire que je me suis retrouvé embarqué dans les trucs des Italiens, des Portuguais, enfin des choses qui débordaient les frontières… Giuseppe Bezza connaissait bien Robert Paris (l’éditeur de Gramsci chez Gallimard). Il m’a dit : « Il y a un bouquin formidable qu’on va traduire ensemble » (parce que lui parlait un français dégoûtant). Je me suis mis à l’italien comme ça. J’avais des bases d’italien parce que j’avais été au Brésil : je parlais le portuguais. Donc, pour moi, de passer à l’italien ça n’a pas été très compliqué. Et je me suis mis à traduire. Lui, au bout d’un an, a disparu dans les placards, complètement. Il m’a laissé seul avec le contrat et c’est moi qui ait traduit Ouvriers et Capital comme ça. Et donc ma formation s’est faite dans la traduction d’Ouvriers et Capital, de Mario Tronti. Du coup, j’ai eu une formation marxienne complètement opéraïste italienne. Evidemment, une fois que j’ai traduit ça, j’ai appris avec grand désespoir quand je finissais la traduction que Mario Tronti était passé au PC. Et puis j’ai contacté Sergio Bologna. J’ai connu tous les opéraïstes. En 1971, je suis allé à un colloque très important (il y avait même Dany Cohn-Bendit, il y avait les Black Panthers) organisé chez les jésuites à Florence. Et là il y avait Potere Operaio. Et là j’ai vu Sergio Bologna, Mario Dalvadi, etc… Je n’ai commencé à travailler avec Negri qu’en 1973. Mais après ça n’a plus jamais cessé. Et au début, en 1971, à partir du moment où j’ai cessé de m’intéresser à ICO et où j’ai un peu largué Saint-Jeanne et Duteuil (tout en gardant des bons rapports avec eux), toute cette frange-là j’ai cessé de les voir mais j’ai plus gardé tellement de contacts avec eux. Et en fait tous les contacts que j’ai eu ont été complètement liés à l’Italie qui m’intéressait parce que c’était des groupes relativement importants de la gauche extra-parlementaire. Ils me paraissaient vaguement d’un marxisme intéressant. Alors que le marxisme des groupes français me sortait par tous les trous de nez, ne m’intéressait pas, me paraissait très mauvais, de très mauvaise qualité, etc… Donc moi après j’ai jamais cessé d’être complètement impliqué dans toutes les histoires italiennes, et d’être complètement lié à cette histoire. C’est-à-dire que j’ai suivi l’histoire au fond des gens de Potere Operaio. Oreste Scalzone, je l’ai connu de réputation bien avant que je le rencontre. Il y a toute une série de gens que j’ai connus au moment du déclin : Piperno quand il était sous l’inculpation, quand on s’est bagarré contre son extradition, Oreste Scalzone quand il est arrivé en France après 1981, etc… Mais moi j’ai une histoire de ce point de vue là qui est complètement faussée par rapport au truc français. J’ai pas d’histoire française, j’ai une histoire internationale. Les référents français que j’avais, c’était des référents militants. Je connaissais pas mal de gens. A Ulm, il y avait d’abord VLR (Vive La Révolution), il y avait pratiquement plus de maoïstes de type Gauche Prolétarienne : ils étaient tous partis.

 

En 1973 ?

 

YANN MOULIER : Moi je suis rentré à l’Ecole Normale en 1970. En 1968, on avait jamais terminé notre hypokhâgne. En 1968-1969, j’ai fait ma première khâgne au lycée Louis-le-Grand, avec un boycott de Tassel par les hypokhâgneux, dont par exemple Antoine de Godemard, qui ont boycotté férocement les profs, etc… Et puis l’hypôkhâgne a littéralement implosé. L’année suivante, je me suis planté au concours la première année. C’était l’année 1969, la moitié de l’hypokhâgne était partie en Italie pendant l’automne chaud. Moi j’étais en Sicile l’été 1969, après le concours. Début 1970, j’ai repiqué une khâgne à Louis-le-Grand. Là je me suis fait viré : au conseil de discipline on était 25 virés dont tout le monde pour occupation illégale de bâtiment et moi pour insolence inadmissible. C’était un conseil dans lequel il y avait des gens proches de la Ligne Rouge, des gens de la Ligue Communiste, moi, des anars, etc… Donc c’était une agitation particulièrement forte. Je suis sorti de Louis-le-Grand en décembre. Mon prof de philo m’a dit : « Il faut surtout pas que tu te représentes en candidat libre ». Donc je suis rentré à La Cannale. Et j’ai fait trois mois à La Cannale. Au bout de trois mois à la Cannale, on occupait à nouveau La Cannale ! Et puis finalement j’ai quand même réussi à intégrer le concours, je sais pas très bien comment, en 1970. Donc je suis rentré à l’Ecole Normale en 1970. En 1971, il y a eu une grève retentissante à l’Ecole Normale, dont j’étais un des animateurs. On a formé le Comité Caliclès. On a bloqué la bibliothèque, on a bloqué les labos, etc… Et il a circulé des listes proposant mon expulsion. Donc c’était un peu agité. Mais pendant ce temps-là, moi je faisais ma scolarité de philo, je faisais du japonais… Et puis je faisais beaucoup d’agitation. Et donc à l’Ecole Normale on a fait un petit groupe qui s’appelait « Matériaux pour l’intervention » et qui a fait pas mal de choses : il y a eu huit documents. Il y a eu des choses relativement intéressantes. Ca a commencé en 1971. Il y a eu beaucoup de trucs qui ont paru en 1972 parce que là j’ai participé à des coordinations internationales avec Salma James (qui était la femme de Sereal James, le fameux, l’auteur des Jacobins noirs, qui outre avoir été un proche de Trotsky (il s’était complètement séparé de Trotsky), était un type des Caraïbes). Donc des trucs sur le féminisme. On a fait différentes choses sur le mouvement féministe et les thèmes de l’autonomie. Mais le paradoxe c’est que certains d’entre nous étaient très liés, moi à cause de l’expérience Ouvriers et Capital, les gens de Potere Operaio que je voyais, aussi les Portuguais, dont un type qui est devenu recteur de l’université de la bibliothèque nationale de Lisbonne, qui s’appelle Manuel Villaverde-Cabrale, qui a écrit une thèse sur le capitalisme au Portugal. Lui il avait fait partie du Parti Communiste Portuguais. Il avait quitté le Parti Communiste Portuguais sur les questions des luttes coloniales. Il est rentré au Portugal après la révolution de 1975. Eux c’était des léninistes d’un genre tout à fait particulier, comme Negri est un léniniste. Il faut avoir lu ses 33 leçons sur Lénine ou la fabrique de la stratégie pour voir que c’est un léninisme assez sophistiqué, assez compliqué, un peu comme tous les Italiens de Potere Operaio. C’est-à-dire, c’était des gens qui étaient au fond pour une autonomie organisée, qui étaient à la recherche d’une synthèse des martingales, de savoir comment les mouvements sociaux qui sont très divergents par rapport à des formes classiques… Par exemple, le parti (c’est la forme classique qu’il y a dans la social-démocratie) : le parti c’est les idées générales et la politique, et les syndicats c’est le trade-unionisme. C’est un trait commun du léninisme et de la social-démocratie. Et bien eux, ils renversaient un peu les choses comme d’ailleurs chez Tronti : c’est l’idée que finalement le parti c’est la tactique, et la classe ouvrière c’est la stratégie. Moi ça me paraissait très intelligent, très astucieux. Je sais pas si on peut en faire une bonne politique, mais c’est intellectuellement ce qu’il y avait de plus séduisant sur le marché des idées. En 1972-1973, je sais qu’à Ulm j’ai organisé un colloque des ouvriers de l’automobile, une coordination, parce que les Portuguais avaient des liens avec des gens qui étaient à Renault-Billancourt, donc il y avait des petits collectifs immigrés. J’oubliais évidemment de dire que le gros truc c’est 1974. Le point très important c’est 1974 avec la grève du 14 septembre et le mouvement du MTA (Mouvement des Travailleurs Arabes). Parce que moi les gens vraiment militants que j’ai connus, les groupes, étaient pas non plus français : c’était les travailleurs arabes du MTA, avec Saïd Bouzeri. J’ai connu à peu près tous les quelques militants. On les a beaucoup aidé, on a beaucoup travaillé avec eux, le Collectif immigré, en étant d’ailleurs fortement opposés à la GOP, avec laquelle il y avait des relations plutôt tendues : Lipietz, etc…

 

La Gauche Ouvrière et Paysanne ?

 

YANN MOULIER : La Gauche Ouvrière et Paysanne, voilà oui : des maos quoi. Enfin, des maos : des maos un peu intermédiaires entre les marxistes-léninistes et les maoïstes GP. Donc la question des immigrés, la question des femmes… Tous ces thèmes on les avait beaucoup abordés. Dans l’histoire italienne il y avait des choses qui sont arrivés, il faut les connaître : 1971 ça a été l’apogée de Potere Operaio, il y a eu une espèce de rapprochement avec le Manifesto. Potere Operaio paraissait le lundi, qui était le jour où le Manifesto ne paraissait pas. Et là il y a eu véritablement un début, un espoir de faire quelque chose… Et puis en 1972 les luttes contractuelles se sont cassées la figure. C’est-à-dire que beaucoup de gens attendaient que 1972 ce soit l’équivalent de ce qu’avait été 1969, c’est-à-dire une grande bagarre de lutte contractuelle, avec le mouvement des délégués qui s’était beaucoup développé, et ça a été un flop ! Et à ce moment-là, les groupes de la gauche extra-parlementaire sont entrés en crise, Potere Operaio le premier, et Lotta Continua en fait deux ans après, de la même façon. La crise, c’était la crise du parti, c’était la crise de la forme parti, c’était la crise de la capacité par exemple des délégués du mouvement des délégués (auquels jamais Potere Operaio n’avait cru d’ailleurs, alors que Lotta Continua s’était beaucoup investi là-dedans) de réussir à déterminer un cycle de lutte nouveau. C’est des périodes extrêmement compliquées. Et en réalité, ce qu’on en percevait, moi ce que j’en percevais, c’était qu’évidemment il n’y avait pas du tout de débouchés institutionnels ou politiques pour des mouvements extrêmement puissants, beaucoup plus puissants qu’en France. Parce qu’en France il y avait des mouvements, mais après 1969 il y avait eu une espèce de reflus, de reflus immédiat après 1968. Il y a eu un reflus immédiat avec une espèce de grand trou, et finalement une décomposition assez rapide qui a amené la naissance d’ailleurs du féminisme d’un côté, de l’autonomie immigrée de l’autre, etc… En Italie, ça a duré plus de temps : entre 1969 et 1973, comme il y a pas eu l’équivalent de mai 68 suivi d’une chute, il y a eu une espèce de montée d’abord parce que le mouvement n’avait jamais rompu avec le PC en terme très violent comme il l’avait fait en France. La rupture, et j’allais dire la déprime, dans le mouvement italien, elle s’est produite précisément en 1977-1978, c’est-à-dire après le mouvement de Bologne, qui est le 68 italien en réalité, qui présente les mêmes caractéristiques que le mai 68 à nous, c’est-à-dire un mouvement étudiant massif, l’implication des ouvriers, et une coupure avec le PCI qui n’avait jamais existé en 68-69 en Italie, alors qu’en France elle a été tout de suite… Gauchistes-PC, ça a été très violent… Et donc, dans cette période de 1973, d’abord la position du PCI d’une part, d’autre part les limites des luttes syndicales… Qu’est-ce qui est né ? Il y a eu une crise de la forme des petits partis, de l’extrême-gauche : plafonnement du Manifesto, plafonnement de Potere Operaio, stagnation de Lotta Continua aussi, explosion de luttes de l’autonomie, c’est-à-dire les luttes sur les autoréductions. En 1973, c’est le mouvement des luttes sur les autoréductions, ce qui va jeter les bases de l’autonomie.

 

En 1973 ?

 

YANN MOULIER : Oui ça commence : 1972-1973 je crois bien… En fait quand les luttes syndicales se cassent la gueule en 1972, dans l’usine c’est le statu quo, et du coup les luttes sociales investissent fortement le territoire. Et c’est là-dessus, c’est sur ce plan-là que va se développer la base réelle de l’autonomie de masse italienne. C’est à ce moment-là qu’on va voir la politisation de gens comme Battisti. C’est le moment où Lotta Continua va avoir dans son service d’ordre pas mal de gens qui sont liés aux mouvements vraiment prolétaires, urbains, y compris petits milieux, délinquants, etc… C’est tout ce moment-là. Et de l’autre côté, ce qu’on va voir apparaître (ça c’est vital, je l’ai reconstruit, ça paraît complètement logique aujourd’hui, on flottait complètement…), on va voir apparaître l’hypothèque et l’hypothèse des Brigades Rouges, qui sont un petit groupe, lui qui n’a rien à voir avec la tradition opéraïste, qui sont un petit groupe originaire des étudiants catholiques de Trente, de l’université de Trente, qui ensuite vont être rejoints par une base plutôt syndicaliste, plutôt PCI – IIIe Internationale, et qui va développer l’idée du parti clandestin. Elle va s’appuyer sur des choses aussi que moi j’ai reconstituées plus tard, c’est-à-dire elle va s’appuyer sur le fait que vraiment entre 1969 et 1975, il y a eu une stratégie de la tension de la part des services secrets italiens, il y a eu une potentialisation des groupes fascistes qui ont fait un certain nombre d’actes extrêmement violents. C’est-à-dire que les actes violents entraînant des morts, jusqu’en 1974, sont majoritairement d’extrême-droite : l’extrême-gauche fait pas grand-chose. Mais évidemment l’effet de tout ça, l’absence de réaction des partis de gauche, fait naître tout un parti de gens qui vont s’organiser sur des bases antifascistes violentes, et qui vont d’autant plus s’organiser sur une base antifasciste violente qu’il n’y a pas de débouchés. C’est-à-dire que l’on est dans le blocage, le blocage le plus important étant celui du compromis historique. Le Parti Communiste refuse une hypothèse de construction de la gauche comme c’était le cas en France (l’hypothèse de construction d’une gauche avec les socialistes) et veut un gouvernement d’union nationale avec la Démocratie Chrétienne. Du coup, il faut bien dire que le groupe, qui était presque rien (le fondateur des Brigades Rouges en 1971-1972) : en 1973, il a fondé la Sinistra Proletaria (je crois que c’est ça les dates), qui est un petit canard qui paradoxalement s’inspire de la Gauche Prolétarienne française, qui a les mêmes thématiques avec un peu plus d’anti-impérialisme genre RAF, c’est-à-dire un discours extrêmement fruste, mais qui a quelques contacts ouvriers, qui a quelques points d’appui vers lequel convergent des trucs assez compliqués : des militants qui provenaient des CUB (Comités Unitaires de Base), qui provenaient de gauches syndicales fortes, qui provient des débris de Lotta Continua et du mouvement des délégués. Et tout ce mouvement est relativement fort dans l’Italie du nord. Et en 1973, il est clair que Potere Operaio n’a plus d’avenir. Et il y a une scission très importante, qui est que Negri commence à regarder à droite – à gauche, du côté de Milan, du côté de Turin, essaye de refaire une espèce d’union, et ça donne une collaboration (très brève d’ailleurs) avec Giangiacomo Feltrinelli, et le premier numéro de Contra-Informazione.

 

En 1973 ?

 

YANN MOULIER : Oui c’est 1973 : fin 1973 – début 1974. Ce qui est très important pour la reconstruction après (rétrospective et fausse évidemment) de tous les Negri et chefs des Brigades Rouges, c’est le moment où il va y avoir des contacts avec les groupes de Feltrinelli (qui étaient tiers-mondistes, un peu Tupamaros…), les Brigades Rouges (qui sont un tout petit groupe avec quelques collectifs ouvriers)… Et le tout va donner le numéro 1 de Contra-Informazione (le célèbre numéro avec Pinochio). Et puis ça va se casser immédiatement : c’est-à-dire que tout de suite il va y avoir une rupture. Et les ruptures évidemment elles ont lieu sur plein de trucs : elles ont lieu sur la conception de la IIIe Internationale, elles ont lieu sur les rapports entre violence, parti, etc… Sur l’autonomie ou pas du mouvement… Mais c’est très important parce que ce noyau initial va pouvoir permettre effectivement de dire que « Ah oui, les Negri ! »… Quand Negri sera arrêté en 1979 et qu’on dira qu’il est le chef occulte des Brigades Rouges (ce qui est aberrant puisque si on avait dit que Trotsky était le chef du Guépéou en 1939… parce que le rapport était à peu près de cet ordre-là en 1979-1978), ça a une certaine consistance historique en 1973. C’est-à-dire on peut penser qu’effectivement, puisque Negri est expulsé de Potere Operaio en 1973 au congrès de Ciorgia… En mai 1973 il est expulsé pour contacts privilégiés avec en fait des groupes qui étaient y compris des Brigades Rouges. Donc à Ciorgia, Potere Operaio implose, enfin il est maintenu avec Piperno et les Romains. Et puis en fait, quelques mois plus tard, Potere Operaio finira par se dissoudre. Negri et quelques autres, qui sont en contact avec les Gramsci à Milan, vont lancer petit à petit Rosso, le journal de l’autonomie ouvrière, de l’autonomie organisée. Cette hypothèse va culminer entre 1973 et 1976, jusqu’aux fameuses thèses de l’ouvrier social de Negri. C’est-à-dire si en 1973-1974 on est en plein dans La Domination du sabotage, le célèbre ouvrage qu’il avait fait, en 1976 il fait un bouquin qui s’appelle L’Ouvrier social et dans lequel au contraire il a l’air de complètement…

 

En 1975 ?

 

YANN MOULIER :  En 1976, L’Ouvrier social (1976 c’est huit mois avant l’explosion de 1977), et dans lequel au fond c’est un peu un adieu à la fois au léninisme, à l’hypothèse du léninisme, à l’hypothèse de l’ouvrier-masse d’usine, par rapport à ce qu’on appelle l’ouvrier social. Puisqu’entre 1973 et 1976, il y a une montante décentralisation productive en Italie : la Fiat c’est un peu une forteresse encerclée, et finalement les groupes n’ont plus une grande capacité d’influer sur les évènements. Du coup, qu’est-ce qu’il y a ? Il y a que moi je suis ça, je suis ça en France. On a l’impression que quand les Italiens sont faibles en Italie même, ils se préoccupent de l’extérieur. C’est-à-dire ils tentent de former une coordination internationale, etc… Ca commence en 1973 : il y a une coordination internationale qui se forme à Zürich, avec des Suisses, avec des Allemands, avec des Français, des groupes anglais, etc… Coordination internationale qui va durer je crois un an ou deux. Les situations redeviennent fortes en Italie, les Italiens replient leurs bagages. Qu’est-ce qui est intéressant dans cette histoire-là ? C’est qu’en 1976, il y a une reprise assez forte en France des mouvements… Il y a un peu une explosion des mouvements d’autonomie, c’est-à-dire féministes, immigrés, depuis 1973-1974, mais également des choses comme les mouvements lycéens. Et 1976 c’est l’année de « L’Ecole en lutte ». C’est aussi la grève de la coordination des Sonacotra. Et c’est là que au fond Matériaux pour l’intervention se saborde, enfin se termine, et que s’ouvre Camarades.

 

C’est en 1974.

 

YANN MOULIER : C’est 1974 ?

 

Oui, je les ai là, je peux vous montrer.

 

YANN MOULIER : C’est le numéro de 1974. C’est effectivement 1974. En 1974, on a la grève des Sonacotra…

 

Je les ai là, je peux vous montrer.

 

YANN MOULIER : Oui, c’est le numéro vert.

 

Le numéro 1 de Camarades…

 

YANN MOULIER : Ah, le gris ! D’accord, oui !

 

Il y a dans ce numéro le bilan de « Matériaux pour l’intervention ».

 

YANN MOULIER : Voilà. Alors, ça correspondait à quoi ? Ca correspondait à la rencontre de… 1974… Je ne me souviens pas, mais tout cela est relativement bien dit dedans, ce n’est pas la peine que je revienne… Mais ce que je veux dire c’est que on a à ce moment là l’idée que le mouvement, que les Verts, que la Gauche Prolétarienne, que les mouvements… Mais 1974, en fait je sais : le point de départ, c’est la grande querelle Lip… C’est ça ! C’est face aux mouvements qui de façon dominante parlent de Lip, nous on pense que les luttes d’avenir c’est plutôt le 14 septembre. Après, ça va être l’autonomie, ça va être les mouvements de chômeurs, etc… C'est-à-dire, c’est les sans-papiers… C’est-à-dire : les sans-papiers, les immigrés, les collectifs de chômeurs, qui va être la grande hypothèse qu’on va lancer en 1976. Voilà, c’est là-dessus qu’on travaille un petit peu avec des choses comme « L’Ecole en lutte » qui s’organisent… Mais je croyais que « L’Ecole en lutte » c’était 1976… C’est 1976 « L’Ecole en lutte ». Il me semble… Qu’est-ce qu’il y a d’autre encore ? Voilà à peu près… Tout ça pour expliquer que, pour en tous cas moi ce que j’ai vécu, qui était pas tellement, le petit groupe où on travaillait, on était très très en liaison avec les gens des Italiens. Donc il y avait périodiquement des gens qui venaient d’Italie, qui s’installaient ici, pour un an, deux ans. Et on suivait… Du coup on a été très dépendant des vicissitudes de l’expérience italienne. Alors, cette dépendance était à la fois à mon avis un frein à une expansion française claire, c’est évident, et c’était en même temps, ça a été extrêmement utile je dirais concernant les questions de violence. Parce que les questions de violence qui ne sont pas apparues sur la scène française avec force, je dirais qu’en 1977 on les avait vu venir de loin ! On les avait vu venir de 1973. On les avait vu venir au sens, avec notamment l’idée que les choses iraient en empirant et qu’il y aurait forcément, qu’il y aurait des espèces de montées violentes très fortes, à la fois dans la logique des collectifs, et à la fois dans la logique de la conjoncture. C’est-à-dire la restructuration, les chocs des luttes pour l’emploi, la défense du poste de travail… Puisque le moment où ça a culminé vraiment, ça a été 1978 : la crise de la sidérurgie et la manifestation de Saint-Lazare. Là ça a été un mouvement très important.

 

C’était en 1979. 

 

YANN MOULIER : En 1979, mais ça a commencé en 1978 la sidérurgie. Et c’est au printemps, la manifestation de 1979, il me semble que c’est le…

 

C’est le 23 mars.

 

YANN MOULIER : Le 23 mars, voilà : c’est le printemps. Dans les questions de discussion, il y avait également, mais ça c’est de notoriété publique, il y avait à partir de 1973-1974, dans la dissolution des groupes gauchistes, il y avait des maoïstes. Donc on a vu un peu rappliquer auprès de nous des gens qui étaient très liés à cette queue du mouvement, cette queue de comète maoïste : la queue de la Gauche Prolétarienne. C’est-à-dire au fond… Je sais pas, il faut aller voir… Je sais pas si vous avez vu Christian Harbulot ?

 

Non.

 

YANN MOULIER : Lui c’est quelqu’un d’important dans cette histoire-là. En tous cas il y a cette frange des jeunes maoïstes, il y a des collectifs étudiants, il y a toute une zone, tout une sphère… Et puis il y a également les GARI, etc… Et c’est ce qui va donner Action Directe, qui apparaît tout doucement… Quand est-ce qu’est l’étranglement de Puig-Antich ? C’est 1971 ou 1973 ?

 

Non !

 

YANN MOULIER : Plus tard encore ?

 

C’est en 1975 ?

 

YANN MOULIER : C’est 1975, voilà. Donc on les voit apparaître en 1976.

 

C’est en 1974 ?

 

YANN MOULIER : On les voit apparaître à peu près à cette période-là. Il y a les antinucléaires aussi : très important.

 

Les NAPAP ?

 

YANN MOULIER : Non, les antinucléaires ça n’a rien à voir avec les NAPAP. Le mouvement antinucléaire…

 

C’est la même année ?

 

YANN MOULIER : Voilà, oui c’est ça, c’est 1976, non ?

 

C’est 1977.

 

YANN MOULIER : C’est 1977, oui, voilà. C’est 1977, c’est vrai.

 

Le 23 mars 1977…

 

YANN MOULIER : Tout ça c’est vrai que c’est le moment un peu où nous on a un local rue du Buisson-Saint-Louis, où il y a des collectifs, il y a plein de choses qui se passent… Et c’est là où, petit à petit, les gens de l’Autonomie, autour de nous, sont relativement organisés, fortement, sans cassure. Il n’y a pas de cassure jusqu’en 1977. La cassure va venir… Il y a des cassures endogènes et des cassures exogènes. La cassure exogène c’est les suites au fond du mouvement italien, de Bologne. L’attaque de Bologne, enfin l’explosion, printemps 1977… Au printemps 1977, la vitrine du communisme italien (tenue par la droite du Parti Communiste Italien, Amendola), sur laquelle le communisme italien comptait beaucoup pour le compromis historique pour obliger la Démocratie Chrétienne à faire le compromis historique, vole en éclats. Parce que tout simplement il y a une explosion étudiante, il y a une explosion libertaire, il y a une libération de la culture communiste classique, le tout lié aux radios libres, etc… C’est Radio Alice. Alors nous on suit tout ça, on est très près, parce que certains des gens de l’Autonomie ont traduit le bouquin de Bifo, Bifo est un copain que je connais depuis une éternité, etc… Donc on suit bien tout ça mais ce qui se passe c’est que au moment du mouvement lui-même de 1977 et les suites, c’est-à-dire la répression, il va se produire quelque chose qui s’était pas produit en 1969 en Italie, c’est-à-dire une immense chambre de décompression, comme il y a eu en 1969 en France. Les gens après 1968 ont vécu pendant six mois et puis après, boum : ils sont retombés sur la réalité, et ça a été assez dur. Et il se produit un peu la même chose en Italie, c’est-à-dire qu’à partir de l’automne 1977 il y a une ligne de clivage qui sépare assez fortement. D’un côté, une partie des gens estiment que le mouvement de 1977 n’a pas réussi à gagner parce qu’il était pas assez organisé, et d’autres pensent au contraire qu’il était trop organisé. Et en fait, quand je dis que c’est un clivage à l’intérieur du mouvement italien, c’était y compris un clivage à l’intérieur de l’Autonomie. Et ça va se traduire par le fait que le critère sur lequel les gens vont discuter, qui va leur servir d’approuver cette décision-là, c’est les questions militaires, les questions de violence. Les autonomes inorganisés, ou partisans du spontanéisme dirais-je, les « chiens sans collier », eux, sont comme le mouvement de 1968 : c’est-à-dire ils pensent que le mouvement a ses échéances, c’est pas la peine de les forcer, elles sont violentes, elles sont pas violentes… Donc ce sont des gens qui sont à la fois beaucoup plus violents spontanément, et beaucoup moins violents dans l’organisation. De l’autre côté, il y a toute une partie du mouvement qui plonge carrément dans j’allais dire la dépression, la déprime, et la schyzophrénie. C’est-à-dire les gens perdent leur confiance dans un mouvement de masse, et c’est les mêmes qui sont complètement déprimés du point de vue du mouvement qui vont quelque fois s’engager dans les groupes armés. Et ça c’est un phénomène qui va toucher tout le monde. C’est-à-dire il va y avoir non seulement les Brigades Rouges qui depuis 1974, 1975 et 1976 font un pas décisif en tuant le juge Coco à Gênes, en 1976 je crois. Je crois que c’est à ce moment-là qu’à Gênes les Brigades Rouges éxécutent un juge. Ce qui fait évidemment un truc terrible… C’est leur premier assassinat, ce qui évidemment provoque un truc… Ce qui du coup attire, d’ailleurs, va les faire fleurir… Et de l’autre côté, dans l’Autonomie, qui ne s’entend pas du tout avec les Brigades Rouges, on va voir naître des tas de groupes violents sur le modèle militaire. Alors, Prima Linea, et des tas… Il y a le mouvement des NAP (Nuclei Armi Proletari, Noyaux Armés Prolétariens), qui sont nés du mouvement des prisons, etc… Il va naître une pléthore de groupes armés ! Mais incroyable ! Enfin, je veux dire, à une échelle… Des centaines de groupes armés ! C’est-à-dire il n’y a pas de collectif qui n’ait pas son groupe armé ! Ce qui fait une situation… Et alors, face à ça, j’allais dire, ce qui reste des cadres politiques de Potere Operaio qui essayent (alors là j’en ai connu de très près : je me souviens très très bien) en fait de tenir une espèce de balance… C’est-à-dire qu’ils pensent qu’il y a un besoin d’une violence extraordinairement fort dans le mouvement, une incapacité très puissante à assumer cette possibilité parce que ça suppose des niveaux organisationnels épouvantables… Et donc ils vont tenter ce que moi j’ai exprimé d’une célèbre phrase (c’était en gueulant ici, parce qu’ici il y avait les mêmes problèmes, mais à une échelle bien moindre), en disant : « Pas de collectif sans bâton, mais pas de bâton sans collectif », et c’était à propos des antinucléaires. Moi j’ai pris position très fortement contre justement les formes de parti armé ou de gens qui s’instituaient justiciers : on savait pas qui ils étaient, il y avait pas de contrôle politique, et ils décidaient de faire des actions, dans le style exemplaire. Alors ça c’est très bien décrit par un type qui avait écrit Tupamaros Berlin-Ouest, et ça a été très fort en Allemagne aussi. C’est une espèce de… C’est les « militaires », c’est des « milis ». Les « milis », qu’ils soient « spontex » ou les « milis » tout court. Parce que les « milis » organisés peuvent aussi être des gens qui vous disent… Soit les marxistes-léninistes diront : « Depuis la trahison de la social-démocratie et la trahison des révisionnistes, il y a plus de parti qui assume la rupture violente avec les capitalistes, ils ont liquidé tous les niveaux d’organisation du Parti Communiste en rendant les armes » (c’était la thématique de la Gauche Prolétarienne : la Nouvelle Résistance Populaire), « on va créer ça »,  donc c’est évidemment un mouvement clandestin. Soit les gens disaient dans les collectifs : « il est pas question », partaient sur des positions strictement pacifistes, c’est-à-dire « on ne veut pas entendre parler de bâton ». Et c’est un affrontement (moi ça m’amusait parce que rétrospectivement en en reparlant, en y repensant) qu’on va retrouver partout en Europe, mais sous différentes formes, distribuées avec des échelles qui n’ont rien à voir. Si on prend l’Irlande, si on prend le Pays-Basque, si on prend la Corse, si on prend… Partout : l’Italie, la France… On a partout cette question d’affrontement entre ce qu’on a appelé, à propos des Basques, les « milis »… Des affrontements extrêmement forts… Dans le cas italien, ça s’est fait comment ? Et bien, ceux qui ont pensé qu’il y a un bras armé, le parti, ce bras armé il est nécéssairement clandestin, ce qui veut dire que si il est clandestin personne ne sait, personne ne le contrôle, il n’y a pas de contrôle public, il n’y a pas de contrôle politique. Et puis ceux qui vont dire : « Ce qu’il faut arriver à faire, c’est que s’il y a expression de violence, elle soit complètement liée à un contrôle politique », alors après ça peut être le contrôle ou d’un parti, ou d’un groupe, ou un contrôle populaire, ou directement des collectifs. A partir du moment où vers 1975-1976 le niveau de répression va monter progressivement partout (loi anti-casseurs en France, en Italie les lois Real), c’est les « militaires » qui vont gagner la partie parce que les niveaux d’organisation qui ne sont pas strictement clandestins sont les plus exposés à la répression. Avec évidemment des conséquences qui sont très embêtantes : c’est les militaires qui paraissent efficaces. C’est eux qui paraissent efficaces. Les autres paraissent foutoires, pagailleux, etc… Ca va donner incontestablement ce qu’on va trouver en 1978-1979, c’est-à-dire que la grande opération du 7 avril 1979 va littéralement décapiter l’Autonomie. Parce que toutes ces questions, c’est des questions qui sont posées dans le background, et puis qui vont mettre du temps. Entre les mouvements de jambisation dans les universités où les groupes armés étudiants se mettent à tirer dans les jambes des profs, aux collectifs de quartier, aux hold-up-machins… C’est tout ce continuum qu’il faut bien voir : c’est la violence diffuse. C’est-à-dire c’est un côté où, dans l’Italie en tout cas, où vous avez une espèce de continuité de génération ou de luttes extrêmement fortes qu’il n’y avait pas eu en France, ça atteignait des niveaux de densité absolument insupportables, enfin extrêmement forts…

 

Le 7 avril 1979, c’est une vague d’arrestations…

 

YANN MOULIER : C’est l’arrestation de Negri : il est « chef présumé des Brigades Rouges ». Déjà en 1977-1978, j’avais invité Negri à venir ici : il était venu faire un séminaire à l’Ecole Normale, et en fait il était beaucoup plus souvent ici à Paris (il faisait le séminaire « Marx au-delà de Marx » à l’Ecole Normale). Et déjà Bifo avait eu des ennuis avec un juge de Bologne. Negri commence à avoir des ennuis en 1978. Et en 1978-1979, on devait discuter d’un prochain séminaire avec Tronti, Rossana Rossanda, etc… On devait monter un séminaire à l’Ecole Normale parce que lui avait pas l’intention de rester en Italie : c’était quasiment devenu impossible. Et quand il est revenu à Pâques, il est juste allé en Italie à Pâques, et là à Pâques il a été arrêté, etc… Avec l’inculpation d’être le chef… D’abord il a été arrêté par le juge de Padoue… Tout ça c’est déjà raconté dans quarante-cinq trucs… Ce qu’a fait le CINEL… On a travaillé beaucoup là-dessus… Il était accusé d’être le chef occulte des Brigades Rouges, avec un argument d’ailleurs très intéressant des autorités qui était que en fait l’Autonomie était la vitrine légale des Brigades Rouges. Un peu ce qu’on aurait dit sur Herri Batassuna, vitrine légale de l’ETA. Sauf qu’évidemment c’était très différent, parce que l’Autonomie ressemblait plus aux trotskystes, et les Brigades Rouges aux staliniens. Mais ça a marché dans un temps très court : Rome a pris le dossier en main, et puis après les magistrats de Milan, qui étaient pas les mêmes… A Rome c’était des magistrats démocrates-chrétiens, à Milan et à Padoue c’était des magistrats communistes : Calogiero était un magistrat très proche du Parti Communiste. A Milan, les magistrats étaient communistes aussi, comme à Turin, et c’est eux qui ont lancé le procès contre Rosso et contre l’Autonomie. A Rome, c’était des magistrats démocrates-chrétiens qui ont emporté le morceau en prétextant… Ils ont ajouté l’inculpation de « insurrection armée contre les pouvoirs de l’Etat », la plus haute inculpation, donc ça leur permettait de se saisir du dossier. Jusqu’à ce que en automne 1980, je crois que c’était au début du mois d’octobre, le Parti Communiste a abandonné la stratégie du compromis historique. La stratégie du compromis historique avait été adoptée en 1973. Et un mois plus tard, Fabrizio Peci, qui dirigeait la colonne de Turin, s’est rendu au général Della Chiesa. Et les deux choses sont très très frappantes. C’est-à-dire que les Brigades Rouges naissent en 1973 et se démantèlent complètement en 1980. Et ça correspond exactement au compromis historique. Comme si lorsque le plus grand Parti Communiste d’Europe occidentale avait adopté la stratégie du compromis historique et l’union avec la Démocratie Chrétienne, ça avait suscité un refus de cette position-là. Alors, de la part de qui ? Et bien, de la part du mouvement, de la part d’un secteur de l’opinion, de sa partie pro-soviétique clairement. La partie pro-soviétique représentait… Cosuta faisait 25 % des mandats du Parti Communiste. Et lorsque le Parti Communiste est devenu le PDS, Rifondazione a embarqué un tiers des actifs du Parti Communiste. Ce qui fait que Rifondazione est aujourd’hui plus puissant que le Parti Communiste Français, alors qu’il est issu d’une scission du Parti Communiste Italien. Ils se sont partagés les biens, les troupes, etc… Ce qui est très important, c’est que il y a toujours eu dans le Parti Communiste Italien une fraction pro-soviétique. Le Parti Communiste Italien était à la fois euro-communiste, rupture avec l’Union Soviétique pour une partie, et une autre partie qui était pro-soviétique. Et il était clair que le langage des Brigades Rouges, etc… est un langage de IIIe Internationale, de syndicalistes, de cadres du PC, de gens formatés par le PC. Ce qui s’est passé c’est que, on sait bien ce qui est apparu, progressivement, au fur et à mesure que les colonnes des BR sont tombées… Parce qu’avant la police ne comprenait pas. A partir de la reddition de Peci (Peci s’est rendu), ils ont beaucoup mieux compris et ils ont fini par les démanteler. Fabrizio Peci… Les Brigades Rouges ont exécuté d’ailleurs sa famille, etc… En grande partie, par la mafia… Ce qui est intéressant, c’est que les « militaires », ils avaient compris que la partie était perdue politiquement. C’est-à-dire que les militaires sont les premiers à se battre, et c’est aussi les premiers à se rendre compte que la partie est finie. C’est intéressant parce qu’en 1980 aussi, Peci se rend, on est fin octobre – début novembre, et décembre le Parti Communiste prend une raclée historique à la Fiat : il lance une grève, il est battu, et il y a 350 syndicalistes qui sont expulsés de la Fiat. Donc on a là un cas absolument frappant… En 1980, le Parti Communiste abandonne l’hypothèse du compromis historique, il prend une raclée dans les fiefs ouvriers, et va naître l’hypothèse de Gramsci… C’est-à-dire, ce qui va naître… La Démocratie Chrétienne va se décomposer, le Parti Socialiste va émerger peu de temps, et puis ensuite il va y avoir la solution de la gauche, c’est-à-dire à partir de 1985 le Parti Communiste va rentrer dans une solution de type « L’Olive » : la coalition de la gauche, l’union de la gauche. Mais avant, le Parti Communiste est contre une union de la gauche. Il est complètement contre une union de la gauche, de 1973 à 1980. Alors, c’est compliqué parce que l’histoire de l’Italie, c’est aussi une histoire… Après on a appris qu’il existait le Gladio, qu’il y avait des corps dans la Démocratie Chrétienne, que les Américains mettaient leur veto absolument à une entrée du Parti Communiste au pouvoir… Ils avaient mis leur veto pour des raisons internes à l’Italie parce qu’il y a les plus grandes bases de l’OTAN, mais aussi et surtout parce qu’il y avait la Yougoslavie. La seule prédiction correcte qu’avaient fait les Américains, c’est qu’elle se casserait la gueule à la mort de Tito. Simplement, pour eux, ils pensaient que Tito finirait à peu près vers ces eaux-là, et ils se sont trompés de dix ans : Tito a duré dix ans de plus. Mais effectivement, à partir du moment où Tito est mort, la Yougoslavie est rentrée dans un processus d’implosion. Alors, ça c’est disons du point de vue de l’Italie. Alors, évidemment, la question de l’Italie… On avait ça en Italie, c’est-à-dire à partir de 1980 : le 7 avril 1979, il y a une vague répressive formidable. Il y a eu 12 000 arrestations, 6 000 poursuites politiques... Ca, ça a été fait, c’est connu… Ce qui a engendré la plus grande vague d’émigration politique que l’Europe ait connue depuis la guerre froide… C’est-à-dire, il y a eu à peu près 600 personnes qui sont parties à l’étranger, dont 200 très très sérieusement vers des pays très très lointains, comme le Nicaragua, le Mexique, etc… Et d’autres, 300, qui sont venus en France, à partir de 1980. Alors, du côté français, je disais que c’était un peu la même chose, on a eu les mêmes choses. C’est-à-dire qu’à partir de 1979, il y a une spirale répressive assez forte, des comportements d’autonomie, c’est le moment d’apogée de l’Autonomie, c’est le moment où le comité central du Parti Communiste a dû faire les comptes avec les questions d’autonomie : ils étaient très inquiets de ce qui se passait chez les métallos. En 1979, les communistes étaient à ce moment-là inquiets. C’est un moment d’apogée, et en même temps un moment de répression. Et là il y a une espèce d’enclenchement du mouvement… Alors comme toujours en France, les mouvements sociaux sont pas très puissants, et ils s’accrochent toujours à des échéances institutionnelles. Il y a des pays (la social-démocratie allemande, le mouvement chartiste puis le mouvement syndical en Angleterre) où c’est le mouvement de base (de masse) qui se construit, et puis ils finissent par avoir une influence sur les partis réformistes, etc… En France, c’est pas comme ça que ça se passe : les syndicats sont assez faibles, les mouvements sont explosifs (c’est-à-dire ils apparaissent et ils disparaissent, il y a des phases sous-terraines), et du coup, beaucoup de choses se gagnent sur des échéances purement politiques. C’est frappant en 1936 : la syndicalisation suit la victoire du Front Populaire, et pas l’inverse. Les occupations d’usine, les mouvements de masse suivent l’évènement institutionnel. La Libération c’est la même chose : ça suit la Résistance. C’est pas un mouvement qui monte en puissance de l’usine ou de la société, qui ensuite se dote de ses institutions, qui ensuite ont une influence, et qui finissent par pénétrer la couche politique. Là, du coup, ça donne que les mouvements sociaux sont happés immédiatement par un niveau politique très élevé. Alors, ça s’est passé pour le nucléaire, ça s’est passé pour l’Autonomie, ça s’est passé pour tout. C’est-à-dire qu’à ce moment-là, les gens se sont retrouvés confrontés… La manifestation de Saint-Lazare était sans proportion… L’écho qu’elle a eu était sans proportion avec la force que c’était. Moi j’ai connu les copains qui l’ont organisé en se déplaçant avec les métallos, en discutant avec eux, etc… C’était des gens qui étaient sortis des collectifs de lutte des banques, des tas de gens comme ça qui ont lancé véritablement… C’était un truc organisé. Quand le 23 mars au matin la police a arrêté préventivement 80 personnes, elle s’était pas trompé : elle avait arrêté une partie des gens qui étaient une des clefs de l’organisation du truc avec les métallos, sauf que la manifestation était beaucoup plus importante heureusement, il y a eu beaucoup plus de gens qui se sont mobilisés. Mais ça veut dire que ce mouvement était très très très fragile. Et je me souviens très bien qu’un des éléments à mon avis qui était très fragile, c’est la question des radios libres, et du nucléaire.

 

Vous parlez du mouvement autonome ?

 

YANN MOULIER : Oui je parle du mouvement autonome. Je parle du mouvement autonome parce que le mouvement autonome ça devenait une espèce de constellation dans lequel il y avait les radios libres, il y avait les nucléaires, il y avait les squats… C’était devenu une espèce de mélange assez général. Et la difficulté c’était que les mouvements avaient pas la capacité de changer de terrain, de se replonger dans des choses massives… Ils étaient un peu poussés à l’affrontement minoritaire. Et ça c’est une question, je me souviens, qui avait été discutée avec les gens de « L’Ecole en lutte »… Je sais plus de quand date « L’Ecole en lutte »… C’est 1976. On en avait discuté déjà dans les luttes des lycéens. Mais ça a été évidemment très vite une question qui est apparue en 1977-1978 quand le mouvement a été sollicité de toute part. Il était sollicité sur le terrain du nucléaire parce qu’il y avait eu des affrontements et l’Etat ne voulait absolument pas céder quoi que ce soit sur le nucléaire. Et le mouvement était beaucoup plus faible qu’en Allemagne, beaucoup moins puissant, beaucoup moins enraciné. Parce qu’à l’époque à Paris, qu’est-ce qu’il y avait ? Il y avait les squats… Il y avait très peu de lieux de réunion… Il y avait pas la tradition du mouvement alternatif comme en Allemagne, en Europe du Nord. Il y avait pas les mouvements alternatifs. Il y avait les mouvements marginaux mais il y avait pas des réseaux, des librairies alternatives… Parce qu’on en a tenu une qui s’est effondrée…

 

Est-ce que vous voulez parler du local qui a brûlé ?

 

YANN MOULIER : Non, ça le local qui a brûlé, c’est rue du Buisson-Saint-Louis. Non, ça a été un exemple. Mais d’autres choses : la librairie qui avait été tenue avant qui nous avait été passée en gestion, l’ancienne librairie de VLR, près de Buffon, près de Censier. Tous ces réseaux de librairies alternatives avaient à peu près disparus. C’est-à-dire en 1978-1979, la ville de Paris avait normé les lieux de relation : il y avait ou des squats, des lieux de squat invivables, c’est-à-dire complètement défoncés parce qu’il y avait des trucs de drogue, il y en avait quelques-uns, par exemple à Raymond-Losserand… Donc il y avait pas d’organicité, il y avait pas une espèce de continuité de mouvement, de multiplicité, et donc de capacité de ne pas monter aux extrêmes immédiatement. Parce que face à ça il y avait des petits groupes minoritaires qui pensaient qu’ils pouvaient vraiment forcer les choses. Et là-dessus il y a eu des clash assez vite, et ça a donné en fait, à partir de 1978-1979… Alors 1977, je reviens à l’histoire des désirants, pourquoi c’est important ? Parce que quand il y avait les histoires de Brigades Rouges, quand sont apparus les histoires de rapports pas très clairs entre les collectifs et les niveaux de violence, il y a toute une partie du mouvement, notamment en France, qui a dit : « Halte-là ! On met les pouces ! ». Les désirants c’était ça qu’ils disaient : ils voulaient pas être entraînés dans des choses dont ils pensaient à juste titre d’ailleurs, et se regroupant derrière Guattari, etc… Eux pensaient à des solutions plus politiques. D’ailleurs Felix Guattari avait raison : c’est-à-dire, c’est lui qui a lancé « Arc-en-Ciel », les Verts, avoir un mouvement beaucoup plus large pour ne pas se laisser enfermer dans une espèce d’aventure militaire sans intérêt. Et donc les désirants voulaient plus entendre parler des organisés qu’ils suspectaient d’être liés à des groupes armés, d’être trop liés à des hypothèses armées. Alors, à mon avis le paradoxe c’est que eux voyaient ça comme ça, et les groupes militaristes genre NAPAP, GARI, et tout, eux voyaient au contraire que les mouvements de l’Autonomie organisée étaient beaucoup trop timorés et beaucoup trop non-volontaristes. Donc ça s’est traduit par le fait qu’après les trucs comme Saint-Lazare, il y a eu les émeutes de Brixton qui ont joué un grand rôle notamment dans la compréhension des gens, notamment quelqu’un comme Mogniss Abdallah, qui est très important, qui est le jeune des banlieues, enfin maintenant qui n’est plus jeune, mais qui à l’époque avait beaucoup participé à la marche des beurs : les premières marches, le MIB… Mogniss Abdallah, son frère Samir : des gens comme ça. Donc il y avait eu des émeutes antiracistes en Angleterre, à Brixton : c’était 1979, ça je m’en souviens très bien. Il y a eu véritablement un clivage très fort, et au–delà de la scission… Et alors la chose qui est intéressante c’est que les gens qui militaient dans ces trucs-là, qui voyaient ça, voyaient à la fois un degré montant de violence, avec des gens très jeunes qui se mobilisaient qui devenaient fous furieux, ils étaient extrêmement violents (deux d’ailleurs, le gars qui avait été arrêté après Saint-Lazare…), enfin des gens très jeunes, très mobilisés, très violents, et un cadre répressif global, une espèce d’ignorance non prise en charge par les partis politiques de ce qui se passait, sauf le Parti Socialiste qui commence à renifler, qui se recompose après 1978. 1978, il faut pas oublier, c’est l’échec électoral de l’union de la gauche. Tout le monde était persuadé qu’en 1978 la gauche allait gagner les législatives : Régis Debray s’était préparé à faire une revue, etc… Et puis 1978 c’est la raclée ! C’est-à-dire la droite réussit à gagner les élections parce que notamment le Parti Communiste veut en fait la rupture de 1977. C’est-à-dire le programme de l’union de la gauche, il va pas le respecter, il va y avoir une bonne partie du Parti Communiste qui va aller voter pour la droite aux élections de 1978, parce qu’ils veulent pas entendre parler d’une victoire où les socialistes auraient le rééquilibrage de la gauche. Alors ça, ça fait qu’il y a un grand manque de débouché politique global. Et ça amène quoi ? Et bien, ça amène… En 1977, quand même, le flop qui a été fait : le truc des NAPAP, l’exécution de Tramoni, c’était un flop retentissant, ça n’a absolument rien fait, alors que les maoïstes étaient persuadés que ce truc-là allait réveiller, cette espèce d’évènement politique, allait provoquer un choc salutaire et amener toute une partie de l’extrême-gauche à revenir sur les liquidés. C’est-à-dire que les liquidés, c’était ceux qui avaient vendu au fond la NRP, la gauche qui avait dissout la GP, qui avait dissout l’extrême-gauche.

 

Mais est-ce que ce n’est pas l’assassinat de Tramoni qui a fait naître le mouvement autonome en France ?

 

YANN MOULIER : Non, ce n’est pas ça qui a fait naître le mouvement autonome. Au contraire, je pense que c’est à partir de ce moment-là… Moi je me souviens que le numéro de Camarades qu’on a fait, le numéro 3, et justement là on a sérieusement commencé à balayer les choses. C'est-à-dire en disant que ce genre de choses était pas fondamentalement le plus passionnant. Parce qu’en particulier c’était sur… vraiment, une histoire… une histoire un peu sordide, ancienne… Et ça n’avait pas du tout l’effet de recomposition que les gens comme Harbulot étaient persuadés que ça aurait. Et effectivement ça n’a eu aucun impact : impact nul du point de vue de la politique. Des gens qui auraient rallié l’Autonomie ? Rien du tout !

 

Pourtant, certains m’ont dit le contraire…

 

YANN MOULIER : Et bien, vous savez, je pense qu’ils rêvent complètement ! En revanche, ça a eu un effet très très mauvais sur autre chose : il y a une composante qui était plutôt anar, sympathique, moi je les trouvais assez sympas, et qui a commencé sérieusement à prendre un mauvais chemin. C’était Jean-Marc Rouillan, Cipriani… Tous des gens que j’ai connus : ils ont commencé à prendre un très mauvais chemin. Ca a été ce qui allait donner Action Directe : c’est-à-dire les GARI. Ils sont devenus après avoir fait un petit tour dans l’Autonomie, ils ont fini par partir sur des trucs qui allaient donner après l’isolement où ils ont été en 1980-1981, ça a donné un truc qui s’est rapproché tout doucement du modèle de la RAF. Avec bien des discussions où on a vraiment… Moi je me souviens en tout cas parce que je connaissais personnellement Nathalie Ménigon… On a discuté beaucoup… Beaucoup… Et c’est intéressant parce que dans le collectif de la BNP, une partie des gens du collectif de la BNP, auquel elle appartenait d’ailleurs, n’ont jamais, jamais, jamais, ils ne sont jamais rentrés dans ce truc-là. Et là, il y a vraiment des questions de formation personnelle, de parcours… Il y a aussi probablement des questions que si en 1979-1980 il y avait eu une perspective politique un peu plus solide, parce que l’Autonomie n’était pas capable de tenir politiquement un truc, je pense qu’ils auraient été moins tenté à partir comme ils sont partis dans une espèce de trajectoire qui rapidement a dévié après. Il y a eu la première fois où ça s’était calmé, c’était l’amnistie de 1981. Et après ils sont repartis de plus belle, et là c’était terminé. Et moi la dernière fois où j’ai vu des gens comme ça (Cipriani, Rouillan, des gens que je connaissais…), c’était en 1978-1979. Et là, il y a pas de doute que ça commençait… Je pense que c’était une espèce de tentation militaire, qu’ils ont payé d’ailleurs fort cher après, qui les a amené à faire connerie sur connerie… Je crois que les autonomistes désirants, mais avec de mauvaises raisons, avaient senti le problème. Avec des raisons qui étaient pas toujours très bonnes, ils avaient senti la difficulté qui se profilait. L’Autonomie organisée voulait pas le reconnaître. Après, elle s’est vraiment opposée, assez fortement, à cette tentative de type militariste, en tout cas je parle pour moi et pour le noyau de gens qui formaient l’Autonomie organisée. A partir de 1980-1981, la transformation, c’est-à-dire l’hypothèse qu’en réalité on allait vers une gauche radicale changeait tout. Je me rappelle avoir discuté… On se voyait beaucoup chez Félix Guattari, etc… Parce que les radios libres, Guattari, le CINEL, était devenu un peu un lieu de débat politique…

 

Qu’est-ce qu’était le CINEL ?

 

YANN MOULIER : Ah ça c’est très important le CINEL : c’est le Collectif International pour des Nouveaux Espaces de Liberté. Le CINEL avait commencé justement à développer des questions sur la répression des Italiens, les premières extraditions… Donc on a fait tout : l’extradition de Bifo, l’extradition de Piperno, celle de Klaus Croissant, évidemment l’affaire Negri, le 7 avril… Et il y avait plein de gens qui se réunissaient rue Vaugirard. C’est important les gens du CINEL, parce que c’est un des lieux où il y a eu un débat… Le CINEL a pris position aussi fortement sur les questions des libertés publiques, avec la question des radios libres. C’est un lieu où on discutait beaucoup. Le CINEL a commencé en 1977, et il a continué très longtemps, et il s’est poursuivi au-delà de 1980… Et en 1980-1981, sur les questions d’élections, je sais qu’on a eu un grand débat avec Félix. Parce qu’il faut dire que j’ai oublié un point très important. En 1978-1979, le mouvement antinucléaire subit ce revers mais l’embryon des Verts c’est notamment La Gueule ouverte. La Gueule ouverte et une partie de l’Autonomie organisée (ce qu’il en restait) se restructurent autour du journal La Gueule ouverte. Moi j’écris quelques textes dans La Gueule ouverte, des éditos sous pseudos. Et il y avait toute une partie de l’Autonomie organisée qui travaillait à La Gueule ouverte : c’est là que Jean-Luc Benhamias m’a connu indirectement (parce que moi j’y mettais jamais les pieds). Mais il y avait donc des militants de l’Autonomie qui se sont fondus dans les Verts, enfin ce qui allait devenir les Verts. Et d’ailleurs ça a raccommodé les autonomistes désirants et les autonomistes organisés, c’est-à-dire des gens qui étaient du côté de Camarades et d’autres qui étaient ou dans le mouvement féministe ou dans les Verts, etc… Gueule a paru, on a fait un numéro très drôle… Avec des gens comme Konopnicki, on s’est payé un numéro parodique de L’Humanité : on s’est beaucoup amusé. Un magnifique numéro ! En 1980. Et ça a démarré : c’était génial ! C’était des petits groupes de gens, mais c’était symbolique de ce qui allait naître progressivement : c’était cette agglomération de gens qui, sans être du tout socialistes, ont voté finalement en 1981 pour Mitterrand, contre la peine de mort, pour moins de répression…

 

Est-ce que vous avez voté pour François Mitterrand en 1981 ?

 

YANN MOULIER : Ah oui, évidemment. Non seulement j’ai voté pour François Mitterrand, mais j’ai appelé fortement à voter. Pour moi il fallait voter Mitterrand au premier tour, sans remords, en disant que le reste était même pas intéressant, et j’ai beaucoup bataillé face à Félix Guattari et Pierre Bourdieu qui s’étaient laissés tenter par le vote pour Coluche. Moi ça me rendait fou furieux la candidature de Coluche, je trouvais pas ça drôle du tout ! Donc j’étais contre le vote pour Coluche. La Gueule ouverte, ça rassemblait des gens qui en fait préparaient les prodromes des Verts. Ca a été comme ça. Avec des choses où on a vu d’anciens communistes critiques comme Konopnicki, des gens comme ça… On avait fait ce faux numéro de L’Humanité. Le vote pour François Mitterrand, moi je pensais que de toute façon c’était un truc fondamental. Mais ça voulait pas dire du tout une adhésion aux socialistes ou quoi que ce soit. Mais il est vrai qu’à partir du moment où d’une part l’Autonomie s’était heurtée à des limites qui étaient partout… Moi c’est évident que l’histoire européenne, en 1979, m’a fait beaucoup réfléchir. Je me suis beaucoup occupé, de 1979 à 1983, des réfugiés, de l’Italie, de Negri, etc… On s’est énormément occupé de ça. Mais pour le reste, moi j’ai considéré qu’à un moment donné l’Autonomie ça avait finit un certain cycle.

 

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Combien de personnes regroupait Camarades ? S’agissait-il surtout d’étudiants, de travailleurs, ou de chômeurs ?

 

YANN MOULIER : Il y a eu des chômeurs, des étudiants, des profs, des futurs profs… Il y avait pas de composante prolétaire à proprement parlé, sauf ce que j’appelerais pas des prolétaires mais des gens issus des mouvements maos qui avaient été établis ou qui étaient des salariés classiques. Les fois où on a fait des réunions, des séminaires, des meetings, je pense pas qu’on ait jamais réuni plus de 60 personnes. Je me trompe peut-être… Il y a eu des trucs généraux comme ça, mais sur Camarades lui-même, etc… Ca n’a jamais dû excéder… On avait un fichier de gens qui étaient informés, tout ça… Mais des gens qui se manifestaient, qui étaient actifs, ça n’a jamais dépassé je pense cet ordre de grandeur.

 

Peut-on dire que vous avez eu un rôle dirigeant dans Camarades ?

 

YANN MOULIER : Oui, ça c’est vrai. J’ai joué un rôle nettement d’animation fort, mais avec chaque fois des gens qui… On a toujours été une dizaine à travailler très étroitement. Ca n’a pas de sens de poser la question en terme de dirigeants, parce que ça aurait supposer que ce fût une instance avec des élites, des membres de base… Il y avait un groupe avec des gens qui jouaient un rôle direct, de premier plan, mais c’était pas un parti politique, c’était pas un groupe politique, il n’avait pas l’ambition de se présenter comme… Donc, l’expression « dirigeant », « mandataire », « mandaté », et tout ça, ça n’avait pas de sens. Je sais pas si on a beaucoup voté. On discutait beaucoup, on avait des oppositions, mais on a pas eu véritablement de… Non, c’est pour ça que c’est très faux, parce qu’il faut ramener les choses à leur échelle. L’échelle est petite, vraiment assez petite. Il faut pas faire de fantasmes : parce que les gens quand ils écoutent ça, ils pensent tout de suite à un groupe de plusieurs centaines de personnes, ou plusieurs milliers de personnes, etc… C’est pas vrai. C’est pas vrai du tout. L’incidence est forte en terme d’incidence intellectuelle, de choses qui circulent, de tout un mouvement dont d’ailleurs on a une représentation assez fausse… On a une représentation très très fausse, sous-dimensionnée parfois ou surdimensionnée. Et donc le groupe il se fait par agrégation, par gens qui s’en vont, sans procédures fortes d’ailleurs, sauf cette question des… Un élément d’affaiblissement ça a été cette question des désirants et de l’Autonomie organisée… Ca a été une chose forte.

 

Est-ce que Camarades était un groupe composé majoritairement d’étudiants ?

 

YANN MOULIER : Oui.

 

Mais il n’y avait pas que des étudiants…

 

YANN MOULIER : Non, il n’y avait pas que des étudiants. Il y avait des liens étroits avec des collectifs qui étaient eux pas étudiants du tout. Dans « Matériaux pour l’intervention », déjà il y avait des Portuguais. Dans la suite, dans Camarades, il y avait des tas de gens qui suivaient de très très près qui étaient liés en fait à des collectifs qui avaient une histoire propre, donc qui étaient pas étudiants. Il faut pas surdimensionner les composantes prolétarisées des squats, etc… Il y a eu des gens comme ça qui sont venus dans le mouvement, qui ont fait partie de la mouvance et tout, mais ils étaient pas très nombreux. Ils sont surtout venus à partir de 1977-1978, donc très proche du moment où ça s’est arrêté. Ca s’est arrêté on peut dire en 1979 je crois… C’est 1978 le dernier numéro de Camarades : un très beau numéro d’ailleurs, en violet, avec le supplément sur le travail… Ca a été à mon avis le meilleur, le plus beau numéro, le plus complet… Parce qu’au fond, il y avait un programme de travail… Après les gens sont partis à droite – à gauche, se sont redispatchés, etc… Donc le lien qu’il y a eu, mais qui est resté très fort parce que, je regarde des gens, ça m’amusait : une partie des gens dans le mouvement « Sauvons la Recherche » sont passés par Camarades… Une grande partie des directeurs de labo qui étaient là… Ah oui ! Il y a des tas de gens que j’ai retrouvés qui étaient vraiment le cœur de « L’Ecole en lutte », etc… Mais à côté de ça, il y a des gens… Si je disais que Alain Finkelkraut a été à « L’Ecole en lutte », ça ferait rigoler tout le monde ! En 1973, il s’est retrouvé là. Donc, il y a des gens qui sont passés, à une échelle très petite, très très minoritaire, très élitiste… Enfin, très élitiste au sens où moi je me souviens que j’avais pas beaucoup d’inquiétudes sur les faits d’une infiltration possible, si ce n’est toujours que les flics ont pas le niveau… J’ai toujours pensé ça, ce qui s’est révélé relativement faux après…

 

Est-il vrai qu’un indicateur de police est parvenu à infiltrer Camarades ?

 

YANN MOULIER : Il y a eu un type, très tard, enfin deux gars qu’étaient d’ailleurs très bizzards, qu’étaient un peu bizzaroïdes, mais qui au fond trouvaient ça très drôle parce qu’ils étaient très sympathisans finalement et ils ont fait plusieurs années plus tard un rapport là-dessus assez drôle… C’était des gens qui effectivement ne s’intéressaient pas au débat intellectuel. Ils s’intéressaient pas du tout au débat intellectuel donc c’était très difficile dans Camarades d’arriver où que ce soit si on était pas…

 

Ils ont été déçus de ce qu’ils ont trouvé…

 

YANN MOULIER : Ils ont pas trouvé des choses qui pouvaient leur permettre de dire que « voilà »… Leur chef ont dû leur dire rapidement : « Changez, mettez-vous dans un groupe opérationnel, parce qu’au moins voilà ! ». Et puis il y avait le côté aussi de déphasage qui était très trompeur pour des Français, c’est-à-dire que le fait d’être aussi encré dans un débat qui était italien, etc... rendait les choses très très difficiles, faut dire… C’était pas évident du tout ! Parce que le fait qu’il y ait une partie des références qui étaient pas des références françaises, bon, c’était un peu compliqué quoi ! Et puis si les gens devaient se mettre à lire Tronti, bon, c’était un peu dur ! C’est pas évident.

 

Que se passe-t-il entre 1978 et 1980, quand Camarades s’arrête ?

 

YANN MOULIER : Il y a une partie des gens qui cessent complètement de faire quoi que ce soit.

 

Pourquoi avez-vous arrêté la parution de Camarades en 1978 ?

 

YANN MOULIER : On arrête la revue Camarades parce qu’en 1978…

 

Le dernier numéro de Camarades se présente ainsi : « On a gagné notre pari, l’Autonomie est un mouvement qui existe, donc Camarades n’a plus de raisons d’exister ».

 

YANN MOULIER : Oui, on se dissout parce que le pari est un peu fait qu’à ce moment-là certains vont à travers l’Autonomie organisée se recomposer dans La Gueule, dans des trucs comme ça… D’autres vont travailler sur des collectifs de façon complètement autonome… D’autres comme les anarcho-désirants vont partir… C’est l’idée d’intermittence du mouvement. C’est l’idée qu’il y a pas de permanence comme ça. Je crois qu’il y a aussi un épuisement des thématiques… Oui ! Je sais… Aussi, une des choses c’est qu’une partie des gens s’investissent dans les collectifs-chômeurs. C’est-à-dire il y a un investissement dans autre chose que la revue. C’est un investissement dans des luttes plus concrètes, plus directes, et pas finalement dans ce qu’avait fait la revue. Une des choses aussi c’était que la revue finissaient par constituer un truc embêtant, qu’il y avait une espèce d’hégémonie… C’était pas très bon… Parce qu’il se fabriquait une espèce de position « Camarades et les autres », l’Autonomie qui se réclamait de « tout sauf Camarades », qui commençait à dire « c’est des léninistes épouvantables ! », des trucs comme ça… Donc, je pense que ça a été… Il y a eu un moment où les faits… On a dû le juger plus négatif que positif.

 

En ce qui vous concerne, dans quoi vous investissez-vous à ce moment-là ? Vous m’avez dit : « il y a les réfugiés italiens », mais c’est plus tard…

 

YANN MOULIER : Non ça commence dès 1978-1979… 1979 : le 7 avril… Je suis investi dans le CINEL, dans ces trucs-là… Je suis investi dans La Gueule ou je suis ça… Beaucoup de gens avec qui je travaille s’occupent de suivre les luttes antinucléaires.

 

Quelles étaient les activités du CINEL ?

 

YANN MOULIER : Originellement, ce collectif avait été lancé par Félix Guattari, des gens comme Isabelle Denard… Il avait pour objet essentiellement de sortir un peu des impasses du Secours Rouge, c’est-à-dire d’un discours purement anti-répressif. C’est-à-dire, le CINEL défendait des gens victimes de la répression, etc… mais il s’intéressait surtout aux nouveaux espaces de liberté : les radios libres, les mouvements sociaux… Donc c’était un lieu dans lequel on discutait de toutes les formes nouvelles de mouvement dans lequel apparaissait un élargissement des possibilités de nouveaux espaces de liberté (comme son nom l’indiquait). Avec dans l’idée à la fois de mener un travail effectivement de dénonciation des différentes choses, etc… des transformations juridiques subreptices qui restraignaient les espaces, mais aussi en mettant l’accent sur au contraire les fois où il s’ouvrait des nouveaux fronts possibles. Et ça avait été le cas de l’investissement… Enfin, le CINEL s’est beaucoup illustré dans la question des radios libres : Radio Tomate… Le CINEL s’est créé en fait… Il faut bien comprendre l’appel de Bologne… C’est l’appel de Bologne qui a créé le CINEL. L’appel de Bologne, en 1977, rédigé par les gens qui étaient complètement liés à nous… Avec Jian-Marco Montesano, qui était un Italien de longue date, qui était peintre, et qui avait fait partie des mouvements de contestation, etc… qu’on avait connu… Un long passé politique ensemble depuis 1975-1974… Et qui avait préparé avec Bifo et Daniel Aufray (qui est au Vert maintenant) l’appel contre la répression de Bologne, qui a été signé par Jean-Paul Sartre, Simone de Beauvoir, Foucault, Deleuze, Guattari, etc… Enfin, c’est Félix Guattari et Gilles Deleuze qui ont été l’âme du truc et qui ont organisé… Alors, cet appel a eu un retentissement considérable en Italie et on est allé (les signataires de l’appel), on est allé au rassemblement de Bologne en automne 1977. Alors, pour organiser ce truc là, il y avait Jean-Pierre Faille, il y avait plein d’intellectuels… Ca organisait des intellectuels, des tas de gens… Et on a rapidement débordé du simple… Dans l’affaire de l’Italie, il y avait présenter autrement que sous une forme criminalisée les mouvements italiens. C’est-à-dire on a fait un numéro justement de Recherche sur les « untorelli », montrant que le mouvement social était pas du tout ces « chiens sans collier », ces « lumpen-prolétariat », ces « gens sans foi ni loi » comme le Parti Communiste les présentait. On a fait tout un tas de choses comme ça… « Untorelli », ça vient de Manzoni, mot à mot c’est les « pestiférés »… Et « cani sciolti », ça veut dire en Italien, les « chiens sans collier », les « chiens déliés » mot à mot… Le Parti Communiste avait présenté tout ça comme un complot l’empêchant d’arriver au pouvoir. Et Montesano (qui était Bolognais) et d’autres ont montré que finalement la vie était gérée, sous Amendola, la grande ville du PCI, exactement de façon stalinienne, de façon répressive et tout… Et une des choses qui avait été très importante, ça avait été l’émergence des radios libres : l’expérience de Radio Alice. Et on a publié à ce moment-là un livre sur Radio Alice, qui est le livre de Bifo qui a été traduit. Donc Daniel Aufray a traduit avec tant d’autres…

 

Comment s’appelle ce livre ?

 

YANN MOULIER : Radio Alice : c’est un livre rose… Et en France, à ce moment-là, on a lancé le mouvement des radios libres avec Radio Tomate, des gens comme Patrick Farbias (qui est devenu assistant-parlementaire de Noël Mamère aujourd’hui), etc… Et ça, Félix Guattari avait tout de suite compris… Il nous a parlé… Il avait tout de suite compris l’intérêt de se battre sur cette histoire des médias : les nouveaux médias… On a discuté sur les publicités… Et ça a beaucoup discuté avec Chiliou, quand Mitterrand est arrivé au pouvoir, sur la question des radios libres, et l’institutionnalisation des radios libres… Et Radio Tomate notamment. Et donc le CINEL s’est beaucoup activé. Alors, il y a eu d’abord en 1977-1978 l’arrestation de Bifo par un juge venu à Paris. Alors, on s’est bagarré là-dessus. Après il y a eu l’extradition de Piperno, il y a eu le cas du 7 avril 1979, il y a eu l’extradition de Klaus Croissant, enfin il y a eu plein de choses… Le CINEL s’est beaucoup manifesté sur ces questions-là. Et il a fait un très gros travail, une brochure, sur le 7 avril 1979, puisqu’il y avait des milliers d’actes, de pages… Moi j’avais pris contact avec un certain nombre d’avocats (Kiejmann, mais aussi Badinter…) pour plein de gens, pour préparer… On a quand même joué un rôle très important dans la préparation de l’asile politique pour les Italiens qui sont arrivés. Car quand les Italiens sont arrivés, certains de façon complètement clandestine, avant la venue au pouvoir de Mitterrand…

 

Dès 1980 ?

 

YANN MOULIER : Oui, dès 1980. Forcément, dès 1979-1980…

 

Dès 1979 ?

 

YANN MOULIER : Bien sûr. Et là on a beaucoup contribué à ce que le Parti Socialiste, en joignant des gens comme Louis Jouannet, qui était responsable à Matignon des questions des libertés publiques… Et bien, c’est eux qui ont… Le pacte qu’a proposé Mitterrand : « Vous abandonnez les actions violentes, vous faites rien, et on vous donne l’asile politique », ça trouve son origine dans une partie du travail du CINEL, c’est évident. C’est-à-dire que ça a été quelque chose qui a préparé… Parce que si le Parti Socialiste était arrivé brutalement, sans aucun contact, sans savoir qu’il y avait tout ça, il aurait pas pu imposer une politique nouvelle, parce que la politique répressive sous Giscard c’était pas ça…

 

Pensez-vous qu’on puisse dire qu’il y ait eu une autonomie ouvrière en France ?

 

YANN MOULIER : Qui se réclame en tant que telle, non…

 

Pensez-vous qu’on puisse dire que ceux qui se réclamaient en France de l’Autonomie étaient surtout des étudiants ou des marginaux ?

 

YANN MOULIER : Non, pas du tout.

 

Ne pensez-vous pas qu’il faut distinguer ceux qui avaient une pratique autonome de ceux qui se réclamaient de manière idéologique de l’Autonomie ?

 

YANN MOULIER : Une de nos particularités c’est que nous on est toujours contre l’idéologie quelle qu’elle soit. Moi quand les gens commencent à se réclamer de l’idéologie, je commence à les regarder de travers… C’est-à-dire, je suis pas du tout d’accord. Comme Marx disait : il n’y a pas de « marxisme ». « Je ne suis pas marxiste » disait Marx. L’autonomie, pour les gens qui se réclament de l’autonomie, c’est un collectif, dans le sens : l’autonomie ouvrière en Italie c’était un référent.